Psychanalyste jungienne : comprendre la schizophrénie et l’inconscient collectif selon C. G. Jung

posted by La psychanalyste11/4/2025

Être psychanalyste jungienne, c’est apprendre à écouter ce que la raison rejette, à reconnaître dans la folie non un naufrage, mais un langage. Au début du XXe siècle, dans les couloirs austères de l’hôpital du Burghölzli à Zurich, Carl Gustav Jung s’avance parmi les patients que l’on nomme alors « déments précoces ». Mais derrière les regards vides et les paroles désordonnées, il perçoit des constellations de sens. Là où d’autres n’entendent que chaos, il distingue des symboles, des mythes, des fragments d’un rêve collectif. Pour psychanalyste jungienne, la schizophrénie n’est pas la ruine de la psyché, mais une tentative de réorganisation profonde : une irruption de l’inconscient collectif au cœur du moi. Ses recherches, prolongées par Nise da Silveira et d’autres héritiers de la psychologie analytique, ont transformé notre regard sur la psychose : ce que la science qualifie de délire, la psyché le vit souvent comme un drame sacré, une lutte entre la lumière et l’ombre. Explorer la schizophrénie selon la psychanalyste jungienne, c’est s’aventurer dans un territoire où la pathologie devient symbole, où l’art guérit, et où la folie, loin d’être perte de sens, peut redevenir un chemin vers l’unité intérieure.

1. La folie comme miroir de l’âme

Il est des mots qui illuminent les ténèbres, et des regards qui se penchent dans l’abîme sans s’y perdre. C’est là que se tient la psychanalyste jungienne, au seuil fragile où le délire cesse d’être pure pathologie pour devenir langage. Là où la psychose révèle non une chute, mais une descente – parfois terrifiante – vers les fondations symboliques de l’humain. « Même les choses les plus absurdes ne sont que les symboles d’idées qui existent dans le cœur de tous les hommes », écrivait Jung dans Psychogenèse des maladies mentales (1957). La folie n’est plus un échec de la raison, mais une irruption du sens. Nise da Silveira, son élève brésilienne, voyait dans cette approche une révolution : rendre au schizophrène la dignité d’un être parlant par images, par mythes et par couleurs.

2. Jung, psychiatre avant d’être psychanalyste jungienne

Avant de devenir le grand visionnaire de la psychologie analytique, C. G. Jung fut psychiatre au Burghölzli, l’hôpital de Zurich dirigé par Eugène Bleuler. C’est là, entre 1900 et 1909, qu’il observa les premiers signes de ce que Bleuler allait nommer « schizophrénie ». Au contact des malades, Jung refusa de réduire la maladie à un simple dérèglement biologique. Influencé par Freud et son Interprétation des rêves (1900), il chercha dans le discours du patient la trace d’un sens caché. Les délires, les gestes, les néologismes – tout cela, disait-il, « veut dire quelque chose ». Derrière la désorganisation apparente, une logique intime cherche à se dire. Ainsi naquit la première psychiatrie interprétative, fondée sur l’idée que le symptôme est porteur d’un message. Les « complexes » découverts par Jung dans ses expériences d’associations d’idées ouvraient une voie nouvelle : l’exploration expérimentale de l’inconscient.

3. Donner sens au délire : la révolution jungienne

Pour la psychanalyste jungienne, la schizophrénie n’est pas seulement une rupture du lien social ; elle est l’émergence d’un autre ordre du réel. Dans le délire, l’âme parle en symboles. Dans Psychologie de la démence précoce (1907), Jung propose une lecture audacieuse : les productions du malade ne sont pas absurdes, mais saturées de signification. Les néologismes deviennent des hiéroglyphes du drame intérieur ; les images délirantes, les fragments d’un mythe personnel. Cette approche bouleversa la psychiatrie : elle transformait la folie en texte à déchiffrer, non en erreur à corriger. Jung se souvient : « Dès mes premiers mois à la clinique, j’ai compris qu’il manquait à la psychiatrie une véritable psychopathologie : une science qui puisse montrer ce qui est à l’œuvre dans la psyché pendant la psychose. » (Letters, 1953).

4. Le moi fragmenté et la puissance de l’inconscient

Jung voit dans la schizophrénie une désintégration du moi sous la pression de forces inconscientes. Le sujet se brise « comme un miroir éclaté en mille morceaux », envahi par des contenus archétypiques d’une puissance archaïque. Là où Freud décrivait un retrait de la libido sur le moi, Jung perçoit un phénomène inverse : l’irruption massive de l’inconscient collectif dans le champ de la conscience. Ces images primitives, surgies du fond de la psyché, possèdent une énergie qui dépasse la sphère personnelle. Pour Jung, il ne s’agit pas d’une simple “perte de contact avec la réalité”, mais d’un conflit entre deux ordres du monde : le conscient rationnel et l’inconscient mythique. Dans la psychose, l’unité du moi se dissout, et les archétypes – ces formes vives de l’imaginaire collectif – s’emparent du langage, des gestes, des rêves.

5. L’inconscient collectif : mythes, archétypes et images universelles

Le concept d’inconscient collectif, né de l’observation clinique des schizophrènes, est l’un des apports majeurs de la psychanalyste jungienne. En 1906, il note qu’un patient lui parle du « pénis du soleil » : une vision délirante qu’il retrouve plus tard dans un texte initiatique mithriaque. Jung en conclut que certaines images ne sont pas issues de l’histoire personnelle, mais de matrices universelles. « Les mythes sont les manifestations originelles de la structure de base de la psyché », rappelait il. Ces images archétypiques – la Mère, l’Ombre, le Sage, l’Anima, l’Animus, l'orphelin, le prophète... – hantent aussi bien les rêves des hommes “sains” que les délires des psychotiques. Nise da Silveira, dans son Musée des images de l’inconscient à Rio de Janeiro, montra combien les peintures de patients schizophrènes reprennent spontanément ces thèmes universels : serpents, soleils, mandalas, déesses vertes ou mères terribles. L’art devenait ainsi miroir de la psyché collective.

6. Créer pour guérir : la main qui imagine

La thérapie jungienne ne se limite pas à l’interprétation ; elle s’enracine dans l’acte créateur. Jung écrivait : « Lorsqu’on a affaire à une crispation accentuée du conscient, il arrive souvent que seules les mains puissent imaginer. » (Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’or, 1929). Le geste, la couleur, le modelage sont des voies d’expression de l’inconscient. Nise da Silveira l’a compris : en donnant aux malades pinceaux, argile ou tissu, elle leur rendait la parole que la maladie leur avait retirée. Peindre ou sculpter devient alors une forme de dialogue symbolique : un acte d’individuation. Là où la psychiatrie organique ne voyait que déficits, Jung et ses continuateurs virent une tentative de rééquilibrage intérieur. Les symboles ne sont pas des illusions, mais des chemins de guérison. En cela, la folie n’est plus seulement une chute : elle peut être un processus de renaissance.

7. Héritage du psychanalyste Jung : une psychiatrie humaniste et poétique

Jung n’a cessé d’espérer que la psychiatrie reconnaîtrait cette dimension psychique de la schizophrénie. « Les idées délirantes et les hallucinations ne sont pas seulement des symptômes spécifiques des maladies mentales, mais elles ont aussi un sens humain », écrivait-il dans Ma vie. Son rêve – celui d’une psychologie de la schizophrénie plutôt qu’une psychopathologie – fut repris par John Weir Perry, dans The Self in Psychotic Process (1953). Perry voyait, comme Jung, dans la psychose un voyage symbolique à travers les archétypes, un “mythe vivant” en quête de totalité. Aujourd’hui encore, la pensée jungienne inspire une approche intégrative où le malade n’est plus réduit à son symptôme, mais reconnu dans sa capacité à signifier. Notre très cher Jung nous lègue une leçon de regard : écouter la folie comme on écoute un poème, dans le tremblement même du sens.

8. Conclusion

Comprendre la schizophrénie selon Jung, c’est redonner au délire sa valeur de symbole. C’est admettre que la psychose, loin d’être pure destruction, peut devenir une traversée initiatique : celle d’un moi qui se défait pour mieux se retrouver. Dans cette perspective, le rôle de la psychanalyste jungienne n’est pas de normaliser, mais d’accompagner — d’aider à traduire le langage de l’inconscient collectif dans la parole du monde. « Nous ne découvrons chez le malade mental rien d’inconnu, mais le substrat de notre propre nature », rappelait Jung. Ainsi, écouter la folie, c’est peut-être écouter l’humanité entière.

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Je suis Ghosnelbane Rose Rochdi, psychanalyste à Rabat d'orientation Jungienne. La psychanalyse Jungienne se pratique en face à face et non sur un divan donc je propose mon accompagnement de psychanalyste à Rabat et psychothérapeute en ligne. Ce blog explore les chemins de la psychanalyse, de la psychothérapie existentielle et du travail intérieur sur soi. Vous y trouverez des articles dédiés aux rêves, à la symbolique du corps, à la spiritualité, ainsi qu’à la quête de sens dans la vie quotidienne. À travers une approche à la fois clinique et humaniste, je partage des réflexions issues de ma pratique, de ma formation universitaire et de mon expérience personnelle. Chaque texte vise à éclairer les grands thèmes de la psychologie profonde : l’individuation, l’inconscient collectif, les archétypes, ou encore la relation entre le Soi et la culture. Ce blog s’adresse à toute personne curieuse de mieux comprendre ses émotions, ses blocages ou ses rêves. Il s’inscrit dans une démarche d’ouverture, où la psychanalyse rencontre la culture marocaine, les traditions spirituelles et les enjeux contemporains de la santé psychique. Que vous soyez en recherche de compréhension de soi, d’apaisement émotionnel ou de transformation intérieure, ces écrits ont pour vocation de vous accompagner dans votre cheminement vers plus de liberté, d’unité et d’authenticité.